On ne peut plus se croiser par hasard.Toi, la personne que je voyais au gré de circonstances fortuites, toi que je ne vois plus, sache que tu me manques.
Nous ne sommes pas des proches et nos rencontres n’étaient jamais prévues, mais tu fais partie de ma vie. Figurant ou figurante de mes journées, sans toi la vie ressemble à un huis clos. Elle l’est même devenue, d’ailleurs. Une sorte de film intimiste de la nouvelle vague, sans passantes. Je n’ai rien contre la nouvelle vague, c’est à la deuxième que j’en veux. Toi, l’entourage, tu fais partie de la vie qui a été annulée. Sans elle, nos rencontres ne peuvent plus survenir pour colorer le quotidien et enrichir le répertoire des relations humaines. Elle est suspendue, la vie où toi et moi pouvions nous croiser inopinément. Échanger peut-être quelques mots, rire, oui, rire ensemble. Un, deux mots. À peu près toujours les mêmes et, de temps un temps, une réplique de plus. La fois suivante, la même réplique, la création d’un lien basé sur une toute petite référence commune et, petit à petit, on s’apprivoisait. Tu me pardonneras ce raccourci – la distance me rend plus sensible – je pense au Petit Prince, je pense à son renard. Car de peu de mots en peu de mots, on faisait connaissance. Au café ou à la librairie, je te trouvais délicieusement distant·e, voire désagréable. On pouvait créer des habitudes et les rompre. Nulle déception ni attentes puisque nous ne nous devions rien. Complice de mes allées et venues, tu finissais par connaître mes goûts, mes envies. Métier du service, je pouvais te saluer depuis la rue, quand je passais devant toi, annonçant peut-être « Pas aujourd’hui mais demain, oui, demain certainement ». Et que dire de toi, croisé (et « e ») régulièrement au théâtre et par hasard. J’adorais l’intersection de nos trajets et avoir de tes nouvelles. Avoir avec toi ce regard complice et nous exclamer « Encore toi! ». On ne se connaissait pas si bien, peu importe. On aimait bien, juste, papoter au hasard. À la limite, on aurait été manger un morceau avec d’autres gens. À l’occasion. Mais l’occasion n’existe plus. Et toi, aux boulots. Oui, aux différents boulots, nos rencontres régulières, nos discussions anodines au départ qui pouvaient dériver sur des sujets importants. On pouvait débattre à bâtons rompus puisque justement, nous n’étions qu’entourage pour l’autre et ne mettions pas en jeu une relation qu’il aurait fallu préserver. Toi aussi, rencontré ou rencontrée régulièrement dans le voisinage. Qu’elles me manquent, tes râleries décomplexées! Tu savais que je ne te jugeais jamais. On pouvait, si l’envie nous quittait, nous détourner, partir, prétexter un rendez-vous ou un train à prendre. Mais je ne me rends plus au travail, je ne vais plus au bistrot. Il n’y a plus aucune chance de nous apercevoir dans les parages. Vous, enfin, amitiés sans historique mais amitiés quand même, que le prétexte nous permettait d’approfondir. Elles n’ont pas passé la digue de l’isolement. Juste pas assez « essentielles ». Pourtant, chacune d’elle est un morceau de nos biographies et dans la mienne, je vois tout ce qu’on pouvait encore écrire. Vous toutes et tous, qui me donniez l’occasion d’être, à choix, serviable, sympathique, souriante, fantasque... ou indifférente. Oh allez, admets-le! Tu la jouais aussi, l’ignorance. Toi, la connaissance lointaine ou de trop longue date qui par timidité ou peur de ne pas savoir quoi dire me contournais. Oui, même s’il s’avère que c’est par détestation que tu m’évitais, toi aussi tu me manques. Ou ces choses que ça me racontait de toi, de moi. Relations sans conventions parce que fortuites et sans lendemains imposés, relations évitables, vous êtes d’une simplicité dont le quotidien 20-21 est dépourvu. Petites relations sans importance, mais qui, chacune, racontaient des histoires. Votre absence se fait de plus en plus ressentir. Toutes les occasions de confronter son soi à d’autres sois, sans contexte autre que le hasard ont disparu. Alors qu’on pouvait mettre à l’épreuve de l’autre plusieurs facettes de notre personnalité, nous voilà réunis et réunies dans des bulles restreintes. Je me sens recroquevillée dans des réflexions qui tournent en rond, un ronron de pensées jamais renouvelées par des rencontres fugaces. On se croisait, c’est tout. Mais on ne se croise plus. Vous me manquez tellement, mon entourage.
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À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
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