Ce qui est resté coincé entre l'imaginaire et l'expression.
Ce n’est pas la première fois que j’écris quelque chose qui finit par m’arriver un peu plus tard. Comme si mon imagination m’alertait et qu’au lieu de prendre son message comme m’étant destiné, je l’interprétais comme étant une inspiration. Il me fascine, pourtant, le sujet de ce Novelmuttum. Ce truc qui reste coincé entre ce que tu imagines et ce qui finit par sortir. Et il concerne à la fois la création – tu vois une idée et quand tu essayes de la réaliser elle n’est pas tout-à-fait ce que tu avais vu – et à la fois la vie quotidienne quand tu sais très bien ce que tu aimerais dire mais que ça sort différemment. Tu peux reprendre vingt fois ton ouvrage ou reformuler mille fois ta pensée, un petit quelque chose restera coincé entre l’apparition de ton idée et son expression. Voilà plus d’un an que j’ai lancé la définition du Novelmuttum XVI (c’était le 25 octobre 2021!) et j’ai depuis essayé à maintes reprises d’écrire le billet qui doit l’accompagner. Sans succès. J’ai mis en place mes tactiques habituelles : invoquer des exemples à l’extérieur de moi, penser à des faits simples à exprimer, reprendre la définition et la découper, trouver de belles citations pour lancer la machine à écrire mentale… Rien n’a aidé. Ça bloque. Je sais pourtant ce que j’aimerais dire. Mais le dire, je n’y arrive pas. Ironique, non? « Mise en abime » dirait l’autre. J’en viens à me servir de l’astuce ultime, à n’user qu’avec parcimonie : tout dévoiler et décrire l’élaboration. J’ai relu les idées que m’ont offertes les personnes qui ont participé à ce Novelmuttum. D’ordinaire, elles suffisent à m’inspirer, elles sont sublimes. Mais là, je n’y arrive pas. Peut-être que j’aime trop ce sujet. Peut-être que j’ai peur de décevoir aussi. Mais décevoir qui? Parce que ce truc dont on parle dans cette définition, ce bout d’idée qui ne sort pas dans le l’expression, au final, ce n’est pas une question de l’effet sur l’autre. C’est une affaire entre soi et soi. Entre soi et la source de l’idée. Personne d’autre que nous ne peut savoir que ce qui est sorti n’est en fait pas complet. Ou pas tout-à-fait. Si je ne sais pas quoi écrire, c’est que mille questions m’assaillent auxquelles je ne sais pas répondre, par exemple : Est-ce que, pour restituer au plus près son idée, il vaudrait la peine de suivre Boileau? « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » (alerte aux perfectionnistes) ou bien est-ce que c’est foutu d’avance? Il faudrait donc passer à autre chose? Et si l’idée revient? Entêtante, elle veut être exprimée, « même trop, même mal ». Peut-on passer sa vie à répéter la même idée dans l’espoir que le sens tout entier finisse par se déposer sur elle? Est-ce que c’est le manque de pratique ou de technique qui t’empêche de l’accoucher correctement? Et si en fait, ça sort mieux? Et si ce « pas tout-à-fait » est un complètement autre chose qui exprime bien ce qu’on voulait mais par un autre chemin? Ou qui exprime autre chose qui nous apparaît nouvellement important? Et quand ça fonctionne, quand toute l’information est passée, comment l’appellerait-on? La première qui me répond « Ça dépend » aura un avertissement. Place alors aux bonhommes dont les citations m’ont inspirées et continuent de le faire : Alberto Giacometti (1901-1966) : « L’idée de faire une peinture ou une sculpture de la chose telle que je la vois ne m’effleure plus. C’est comprendre pourquoi ça rate que je veux. » Samuel Beckett (1906-1989): « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. » Place aussi à toutes celles et ceux qui ont pensé et qui ont partagé leurs idées : Ce qui est resté coincé entre l'imaginaire et l'expression.Furtang (n. m.)
Pertexte (n. f.)
Point d'interlocution (un-)
Idéception (n. f.)
Fulguination (n. f.)
Décidéatif-ve (adj) Caractère de ce qui n'apparait pas du projet dans le produit final.
Transphregmatisme (n. f.) processus imparfait de transformation d'une abstraction mentale en oeuvre d’art. Antag : Retrotransphregmatisme (n. f.) processus imparfait de création d'une abstraction mentale en confrontation à une oeuvre d'art.
Idésapointade (n. f.)
Merci infiniment à Lionel Perrinjaquet, Marie Yon, Steven Matthews, Lola Gregori, Cédric Annen, Yvan Peperoni et Julie Despriet pour avoir prêté un bout de leur imaginaire!
1 Commentaire
Marion
5/1/2023 14:43:29
Merci à toi de nous avoir fait participer à cette réflexion.
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À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
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