Comment le confinement transforme le moindre événement en véritable aventure. La nuit du 12 avril dernier a été compliquée. Le petit s’est réveillé à 3 heures du matin et n’a pas réussi à se rendormir avant 5 heures. J’ai fini, au terme d’une longue insomnie, par sombrer à côté de lui, dans son lit, la tête à angle droit par rapport au reste de mon corps, un bras traînant par terre et le bas du dos suspendu dans le vide. Ce n’est pas faute, avant de me retrouver dans cette posture ridicule, d’avoir essayé d'envoyer le bambin avec douceur au pays des songes. J’avais même tenté, vers 4 heures et demie, une échappée furtive en direction de ma chambre. J’avais même réussi à m’allonger un peu… Avant de devoir me relever pour chasser mon chat qui miaulait devant la porte. Ah non, elle n’était pas là… Elle s'est sûrement trouvée coincée sous le lit, derrière les tiroirs, plouc d'elle. Non plus… J’ai eu alors l’impression que ça venait de l’extérieur. J'ai sorti la tête par la fenêtre et j'ai vu un chat assis sur le toit, au sommet des 8 étages de l’immeuble. J'ai commencé par lui causer. Elle – c’est visiblement une femelle – me feulait au nez en réponse. Tu parles d’une éducation ! Ce n’était pas la première fois qu’un chat miaulait sous nos fenêtres. "Elle finira par retrouver le chemin de chez elle, comme les autres" me suis-je dit, bien décidée à voler quelques heures de sommeil. Le temps que je m'asseye sur le lit, mon fils m'a rappelé. Il avait peur. J’y suis retournée et j'ai préparé un remède imparable : lait-miel-cannelle. On s’est finalement endormis. Lui, volontiers, moi, involontairement, pour nous réveiller à 8 heures, lui, en pleine forme et moi… dans la position décrite plus haut, la nuque endolorie en plus. Je suis alors remontée dans ma chambre pour demander au père de prendre le relais. J’avais l’impression de rentrer de mission : « J’en peux plus, il faut que tu me remplaces ». Il a accepté. Je me suis effondrée avant même d’avoir fini de formuler ma demande, ou plutôt ma supplication. "Je vais m’endor…" Miaulements! J'ai passé à nouveau la tête par la fenêtre, même toit, même chatte. Elle avait l’air plus inquiète qu’au milieu de la nuit. On l'a appellée et comme elle n’a pas l’air de vouloir monter vers nous, ni de nous adresser autre chose que des « hhhhh » agacés, on lui a lancé quelques croquettes, un peu à tout hasard. J'a finis par me recoucher. Un peu plus tard – je ne saurais même plus dire à quelle heure – j'ai émergé à regrets de mon somme et, sous la pression des miaulements continus, je suis retournée à la fenêtre. En me penchant un peu plus, j'ai aperçu à ma droite le visage d’une jeune voisine qui, elle aussi, était penchée à sa fenêtre. Elle m'a dit : « C’est le chat de mes amis. » moi : - Vous savez si elle arrive à rentrer seule? - Je ne pense pas. Vous pouvez la prendre? - Il faudrait prévenir ses propriétaires. (une manière de ne répondre ni oui, ni non. Je ne savais pas si je pouvais l'attraper.) Tremblante, (de fatigue ? d’inquiétude ?) j’ai essayé d’attraper le chat. J’avais peur qu’elle panique et qu’elle s’échappe de mes mains. En dessous de mes bras, un toit en pente, et 8 étages de vide, jusqu’au béton de la cour de l’Arsenal. Je me suis préparée psychologiquement à ne lâcher prise sous aucun prétexte, même en cas de griffure. Finalement, j’ai réussi à la hisser et la faire rentrer dans ma chambre. Elle était en panique et essayait de s’enfuir à nouveau par la fenêtre. Problème : on avait installé un petit filet pour que nos propres chats ne sautent pas. Il était assez bas pour que j’aie réussi à la faire entrer, mais trop haut pour elle de l’intérieur. Elle s'est pris littéralement le filet dans la tronche et a rebondi comme un angry birds au début de la partie. Un « fffft » outré a retenti et, en réponse, un grognement émanant de ma féline Tisha. Un échange menaçant s'est engagé par dessous la porte. Les deux bêtes poussaient ces cris surprenants que seuls les chats savent produire, dans les moments où il se métamorphoses d’adorables minous qui font « miaou » en animaux sauvages qui s’insultent du fond de leurs tripes. Tisha avait de l’expérience, ce n’était pas la première fois que son domaine était envahi par une patte de velours étrangère, mais aucun chat ne s'était jamais aventué à revenir après avoir goûté à l’esprit territorial de la mienne chatte. Jamais. La voisine m’avait dit que l’animal réfugié chez moi s’appellait Joplin. Comme elle était terrorisée, et que je trouvais que son prénom en jetait, je l'ai appelée doucement. Puis, je me suis allongée sur mon lit pour instaurer un peu de calme avec elle. Petit à petit, elle s'est détendue et a fait de la "réponse de Flehmen" dans toute la pièce (vous savez, ce truc où les chats retroussent la babine du haut, en faisant comme un drôle d’éternuement pour capter les odeurs d’un nouveau lieu). On s’adaptait tranquillement. Comme j'étais épuisée, je n’ai eu aucune peine à me laisser glisser vers un sentimentalisme décomplexé et j'ai pensé au Petit Prince et au renard. Sonnerie à l’interphone. Les voisin·es, propriétaires du chat venaient récupérer la bête. En pleine période de confinement, nous nous tenions à distance les un·es des autres. Pendant que la jeune femme tentait par tous les moyens de récupérer son chat, nous devisions gaiement avec son père. Il me paraîssait surréaliste de faire connaissance avec quelqu’un en cette période ! Cela faisait près d’un mois que je ne voyais même plus mes parents, alors de nouvelles personnes… On a parlé de jeux de société, de confinement, du ménage qui n’était pas à jour. L’opération a duré quasiment une heure ! Au final, à force de friandises à chat et de persuasion, voilà Joplin emballée dans un sac-à-chat que nous leur prêtions le temps du trajet. L’équipe s’en est allée et nous nous somme retrouvés à nouveau confinés en famille. Dans une période où les journées se ressemblent, ce petit événement a pris des dimensions d’aventure. On a l’impression qu’il nous est véritablement arrivé quelque chose. On en reparle : « Tu te souviens, quand Joplin n’a pas voulu sortir de derrière les étagères ? – Et comment Tisha avait l’air crispée ! Tu les avais déjà vus, ces voisins ? Je suis sûre qu’on a les même goûts, vu le nom qu’iels ont donné à leur chat ! ». Nous vivons une période de non-événements personnels qui, par effet de contraste, donne de l’importance à de micros-épisodes. Alors que l’humanité traverse une période marquante de son histoire, nos micros-histoires à nous se sont concentrées sur du hyper-quotidien. Et une chose m’a frappée personnellement. Il y a un vide et ce que ce vide a englouti me manque au-delà de ce que je soupçonnais. Il a fait sombrer le "bouquet d’émotions". C’est comme ça que j’appelle la capacité que j’ai, je pense, toujours eue, de ressentir les événements à travers toute une palettes d’émotions fortes. Le bouquet, je l’ai longtemps eu en main et je me rends compte qu’il s’est étiolé ces derniers temps. Effet de l’âge ? De la fatigue ? D’un état dépressif latent ? Je me rends compte que même si je les ai souvent subis, je suis nostalgique des grands drames de l’adolescence. J’ai la nostalgie des joies démesurées. Je voudrais avoir à nouveau la capacité de me réjouir d’un moment et de l’attendre avec une impatience qui augmenterait mon rythme cardiaque. Je voudrais ressentir à nouveau l’extase d’équipe, quand collectivement on atteint un but, ou qu’on a, en groupe, relevé un défi. Je voudrais un défi. Je voudrais une équipe à aimer. Je voudrais même haïr un petit peu, juste pour me rappeler ce que ça fait. Au moment où j’écris, je ne sais pas si j’ai délibérément enterré ma sensibilité ou si c’est l’usure du temps qui a fait son travail. Quoi qu’il en soit, et pour en revenir au sujet de ce billet, l’épisode « Joplin » m’a rassurée sur au moins un point : il n’est pas nécessaire de vivre de grandes aventure pour réactiver les émotions. Au fond, le confinement et le nivellement événementiel qu’il impose donne du relief à de toutes petites choses qui en deviennent précieuses. Et quand il faut s'aider à ressentir, heureusement qu'il reste Janis Joplin.
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À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
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