Un court texte écrit en novembre 2020 à l'occasion d'un atelier d'écriture avec Lolvé Tillmanns.Je ne me suis pas retournée tout de suite. La sonorité de mon prénom se glisse souvent dans des phrases qui ne me sont pas destinées. Les phrases contenant « Il y a » étant les plus fréquentes. « Lia ! Lia ! Attends ! » Cette fois-ci, c’était clair. Je me suis arrêtée pile devant la cabane à marrons chauds et me suis retournée. Je cherchais des yeux un visage que je pourrais reconnaître mais la jeune femme qui me faisait signe de la main ne me disait rien. Ou peut-être vaguement quelque chose. Je ne pouvais plus vraiment faire semblant de ne l’avoir pas vue. Pendant qu’elle avançait vers moi roulant derrière elle deux grosses valises, je passais en revue tous les moments et lieux où j’aurais pu l’avoir rencontrée. École primaire ? Non. Cycle ? Aucune chance. Collège ? Je crois pas. Théâtre ? Uni ? Impro ? Claquettes ? Non. Non. Non. « C’est hallucinant de te voir ! » Merde merde merde, mais d’où je la connais ? « Bien sûr, j’ai pensé qu’il y avait une chance qu’on se croise, mais si vite, non ! » Maintenant qu’elle s’était rapprochée, elle me rappelait quelqu’un. Impossible pourtant de la situer dans un moment précis de ma vie. « T’as l’air plutôt en forme ! Fatiguée, peut-être, mais plutôt en forme ! » « Heu… Merci… Toi aussi. Enfin, t’as aussi l’air en forme, je veux dire. Pas fatiguée, hein mais bien. » Vite, me rattraper à quelque chose… « Tu rentres de vacances ? » Elle se mit à rire. Un très joli rire. Qui donnait envie de l’accompagner avec une deuxième voix. « Je rentre, je rentre rentre. Et toi, tu vas où ? »
- Je vais voir mes parents… - C’est génial ! Moi aussi ! - Tu prends un bus ? - Ben oui ! Ou le tram ! Tu viens ? C’était terriblement gênant. À la fois je m’en voulais de ne pas réussir à me souvenir d’elle et en même temps, son énergie éclaboussait de bonne humeur et me donnait envie de rester avec elle. J’étais à la fois gênée et réconfortée. Bizarre. Au moment où on se dirigeait vers l’arrêt des TPG, un tram arrivait. Comme d’habitude, je laissais tomber et ralentis le pas. Mais elle, elle se mit à courir, faisant rebondir ses valises sur les trottoirs, les rails, les pieds… « Magne-toi ! On va l’avoir ! ». Dans le tram, on s’est assises face-à-face. Elle avait jeté ses valises, distribuant des « pardons » joyeusement insolents aux passagers outrés. Pendant qu’elle balançait sur la plus fluo de ses valises, son écharpe, un sac en bandoulière et sa jambe droite, mon cerveau atteignait sa vitesse maximale. Plus je l’observais, plus je me sentais proche d’elle. – Alors vas-y, raconte-moi tout. Tu es mariée, c’est ça ? Avec Seb, donc ? – Oui…– est-ce que c’était une amie de Seb ? – on a deux enfants. – On a deux enfants ! Génial ! Tu as fini par en appeler un Solal ? – Heu… Non… – Je n’avais jamais parlé de ce prénom à qui que ce soit. – Ah bon… – Elle semblait déçue. Et c’est la blessure de danse qui te fait boîter ? Je pensais pas qu’elle pouvait ressurgir… Tu ne danses plus du coup ? Rassure-moi, tu fais toujours du théâtre, hein ? Et t’as pas pu arrêter l’impro je parie ! Mais comment pouvait-elle savoir toutes ces choses ? Je tentai une pirouette. – Heu… Oui… C’est fou que tu te souviennes de tout ça. Elle éclata de rire. – Betah que je me souviens! Ma pitom ! On ne peut pas faire semblant de ne pas exister l’une pour l’autre ! « Ma pitom » ? De l’hébreu ? Je ne comprenais plus rien. Je ne l’observais plus, je la scrutais, je la passais aux rayons X, je la scannais. Elle continuait de parler. Son flot contenait autant de détails de ma vie que de questions auxquelles elle répondait elle-même et de rires en staccato. Mon regard passait du mouvement de sa bouche à ses boucles d’oreilles, en passant par son petit tatouage sur le côté de la nuque, derrière l’oreille droite. Son nez, particulièrement, me fascinait. Il était légèrement tordu, comme le mien. – C’est fou, ça me fait vraiment quelque chose de te voir. On va pouvoir tout se raconter ! C’est génial ! – Mais… heu… quand ? – Ben… Chez les parents ! – Quoi ? – Mais… Lia… – Quoi, « Lia » ? La balance entre mon besoin de comprendre et la politesse penchait de plus en plus vers le besoin. – Mais t’es qui, bordel ? D’accord, penchait carrément. Elle ne riait plus. Elle me regarda droit dans les yeux et entrouvrit le haut de sa veste. Lentement, elle découvrait son cou et je le vis : le grain de beauté du creux entre les deux muscles. Celui que maman appelait mon « pendentif ». – Comment est-ce que… À y regarder de plus près, ses cheveux étaient peut-être plus courts, son maquillage mieux fait, les premières rides de son visage étaient peut-être plutôt orienté « sourire » que « dépression » et surtout son rire était plus franc, mais maintenant, je compris. C’était une sorte de moi. – 2007, Tel-Aviv. Tu as décidé de rentrer à Genève. Je suis celle qui est restée.
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À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
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