Le flou, les crochets et le beh, ce que je comprends de mon problème de concentration 2020-2021J’ai un problème de concentration qui persiste depuis quelques mois et j’essaye de comprendre de quels mécanismes il découle.
En ce qui me concerne, j’entrevois trois causes principales :
Les incessants changements de programme Depuis le mois de mars 2020, mes semaines sont en perpétuelle mutation. Répétitions annulées, cours supprimés, rendez-vous différés, rencontres reportées sur du virtuel... Les changements interviennent semaine après semaine, depuis presque un an et je me rends compte que je n’arrive plus à complètement effacer l’ancien programme de mon esprit pour y imprimer le nouveau. Comme si les anciennes activités avaient été mal effacées. La gomme ne parvient plus à faire disparaître le trait. Mon pouvoir de projection ressemble à un palimpseste mal traité. Les annulations ne sont pas circulaires, elles sont spiralaires. Elle ne repassent pas par dessus, elles s’ajoutent maladroitement sur la trace de mes projets passés. Subséquemment, je n’arrive plus à visualiser clairement les nouveaux programmes. Circonstance aggravante, ce qui est annulé porte une charge émotionnelle et il est difficile d’abandonner ce à quoi on tient. Ce sur quoi on a projeté des espoirs et de la réjouissance. C’est d’autant plus douloureux de laisser partir ce qui nous a pris du temps à mettre en place, ce qu’on a organisé, imaginé et, même si c’est plus trivial, budgété. Alors, quand les nouvelles tâches ou l’absence de tâches tentent de se superposer à l’ombre de ce qui aurait du être, ça ne prend pas. En résulte donc une première anicroche à ma concentration : l’accumulation d’images aux contours non-alignés. Ou, plus simplement, le flou. L’incertitude Que mes projets s’annulent ou se reportent, je n’ai pas de certitudes quant à leur existence future. Pire, même les projets prévus à des dates encore lointaines sont de plus en plus teintés, eux aussi, de cette incertitude. Lorsque je mets sur la table les jalons d’un nouveau projet, je n’arrive plus à penser plus loin, à visualiser et envisager la suite. Je ne vois que l’image d’une idée sans qu’en découle une réflexion qui lui permette de se développer. Et encore, si ce n’était que les projets. Je ne sais pas quand je pourrai revoir certain·es ami·es et membres de ma famille. Alors, la crainte de l’embouteillage s’impose : comment planifier un séjour chez ma grand-mère sans savoir si je vais pouvoir ou non mettre en place tel ou tel projet? Pourtant, vadrouillant dans le milieu culturel et artistique, j’ai l’habitude de vivre des moments de suspensions pendant lequel je ne sais pas si tel ou tel autre projet sera choisi, aura lieu ou non. Je mets alors les dates entre crochets, espérant pouvoir les confirmer tout en sachant que ces dates peuvent se libérer en cas de refus. Aujourd’hui, ces crochets encadrent aussi bien des projets en incubation que d’autres déjà existants mais annulés. Ils se mettent maintenant à encadrer les fêtes, les retrouvailles et les projets familiaux. Les crochets sont partout. C’est comme quand on rempli un Doodle (un Framadate, un sondage pour trouver une date...). D’habitude, j’inscris un petit astérisques sur les jour que j’ai inscrits comme disponibles, afin de ne pas y ajouter d’autres engagements. Une fois la date finale choisie, j’efface ces astérisques. Mais nous sommes dans un Doodle qui n’en finit pas. De ces Doodles dont l’organisateurice a oublié l’existence et qui pourrissent dans les limbes des dates non-arrêtées. Je détermine alors la seconde anicroche : Les dates mouvantes ou plus simplement, les crochets Le remplacement du fun par du beh Pour le moral, c’est le pire des trois. Mes répétitions, séances de travail, événements, cours et spectacles sont remplacés par de l’administratif. Les formations que je voulais suivre sont remplacées par des formulaires à remplir. Au lieu de travailler dans mon domaine, de nouveaux impératifs s’ajoutent. Je ne parle pas seulement des mails à envoyer pour annoncer une énième annulation. Je ne parle pas seulement des sites à mettre à jour, des annonces à modifier. Je parle des enquête à mener pour savoir à quelles aides je n’ai pas le droit, quelles indemnités demander, qui contacter. Je passe des heures à rassembler des documents, des chiffres, des calculs. En parallèle, il y a la préparation de dossiers pour répondre aux injonction à la réinvention. Pour tenter de se projeter. Pour vaillamment se créer de l’espoir. Ce qui, comme décrit plus haut, ne fonctionne pas très bien en ce moment. Ce que j’aime et sais faire est remplacé par des corvées que je ne maîtrise pas. Ou que je n’arrive plus à faire. Et donc, au lieu de me sentir à l’aise, utile et épanouie, je patauge dans mon incompétence et ma balourdise. Mon manque de connaissances me saute à la figure et rentre en conflit avec mes valeurs. Car j’estime que les comédien·nes des spectacles annulés doivent être rémunéré·es, tout en craignant que ma mauvaise maîtrise du langage administratif et comptable ne soit la cause d’un refus d’indemnisation. L’admin, la compta, les formulaires, les dossiers, tout ceci fait partie du job artistique. Je suis indépendante et je sais que pour un instant de joie créatrice, un boulot moins agréable doit être fait. Je suis tout-à-fait disposée à fournir cet effort et réussis même parfois à en retirer un peu de satisfaction. Cependant, aujourd’hui qu’il ne me reste presque plus que ça, je n’y trouve plus mon équilibre. Mon studio de création mental est submergée par de la boue crasse. Beh. Or, comme beaucoup, je me concentre moins bien sur ce qui me rebute et que je ne sais pas bien faire. Troisième anicroche, donc : le beh Corollaire commun à ces trois points : c’est la même merde pour tout le monde. Alors je ne relance plus les gens. Alors, je n’ose pas rappeler les directeurices des salles pour leur dire « Coucou, tu te souviens de ce super projet pour 2021-2022? » Alors, je ne veux pas bloquer les dates des autres car, comme moi, iels ont l’angoisse de ce calendrier mouvant. Alors, je n’arrive plus à me motiver pour motiver les autres. On va s’en sortir, bien sûr! Il y aura de belles choses, bien sûr! Mais aujourd’hui, ce problème de concentration m’obsède. J’espère qu’en le décryptant, j’arriverai à trouver quelques idées pour pallier ces obstacles. Pour l’instant, je mise sur une solution hybride : me fixer des tâches sympathiques qui ne risquent pas d’être annulées. Je vais essayer de m’ajouter de la solidité et de l’artistique. À saupoudrer du fun, même artificiel, là où je peux. (comme par exemple mettre « palimpseste », « spiralaire » et « subséquemment » dans le même paragraphe) À donner le nom d’ « anicroches » aux obstacles pour leur donner une apparence plus sympathique et moins effrayante. Ça ne relèvera peut-être pas de mon métier, puisque mon métier est annulé, mais ça m’aidera peut-être à ne pas perdre la tête.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
Tous
|