Monologue en dialogue intérieur un mardi midi à la Plaine.4m2 14 juillet 2020
Sac, bouteille d’eau, craie. Seule. Qu’importe. Marquons, marquons le sol. Un carré, c’est pour le principe de notifier la présence. Message simple. « Tout commence !». Beaucoup de passage aujourd’hui. Un peu timide, quand même. Elle se sent comme en perfo, le trac avant de se lancer. Un peu le regard des autres, quoi, merde, encore. Debout, derrière son carré. C’est plus rigolo de réfléchir à plusieurs. Mais c’est pas grave, on peut réfléchir seule. Et puis, il y a Yven, l’avatar. Celle qui assume, celle qui en a. Et Yven, elle s’exprime en vrac, parce qu’elle est une pensée et qu’elle n’a pas à se soucier de la cohérence. Elle va à la vitesse d’une association d’idées. Et le temps de quelques minutes passées sur la plaine, elle balance : « Le 4m2 peut être un socle. Genre un point de départ. Mais si tu pars dans tous les sens, ça va vite devenir un gloubi-boulga fourre-tout et personne va s’y retrouver. Faut qu’on ose rester simples, avec ces carrés. Que ça reste carré (elle me fait rire, parfois). Et souple aussi. Confortable, quoi! Un endroit où on peut revenir et le retrouver tel qu’on l’a connu. Un arbre sur lequel les oiseaux de passages se retrouvent, entre deux migrations. Un truc sans prétention, sans ambition. La base. La casa, quoi. » (Elle a des marottes, Yven, elle se répète souvent) « Il faut absolument permettre à chacun·e de s’investir à la hauteur de ses possibilités, connaissances et envies. On ira plus loin, plus longtemps. » (Persuadée, elle est!) « Parce que si tu es valorisée dans ce que tu sais et aimes faire, tu vas t’améliorer et améliorer les autres. Et chacun·e y mettra du sien. Parce que si ton taf t’éclate, tu vas volontiers accepter de faire un tâche moins sympa. Parce qu’on doit durer et que rien ne dure en accumulant frustration et aigreur. » « Ouais » (qu’elle me fait) « ouais. Si déjà 3-4 personnes sont calmes en dedans, tu laisses la place à plus de bienveillance et d’empathie. » « Mettons en place une économie parallèle, une économie de la coexistence, de la collaboration, de la solidarité. » (Elle s’enflamme un peu plus ) : « Il faut valoriser le partage des avis, des craintes et des espoirs sans fustiger ni dénigrer celles et ceux qui ont pu glisser vers le conspirationnisme, vers l’aigreur, même. » (« Ouais mais quand même ! je fais. ») « Ben non! Le monde meilleur auquel tu rêves, il est aussi pour eux! » (« D’accord, d’accord. « ) « C’est de l’esprit critique qu’il faut. Et tu ne peux pas du tout avoir accès à une personne si tu la prends de haut, du haut de tes grands principes, du haut des connaissances que tu peux avoir. Ouvrir la porte ne suffit pas, il faut entendre et écouter. » « Accordons-nous le bénéfice du doute. Écoutons. Prenons en considération. Ayons moins de suspicion. Et plus de bienveillance pour les soutenu·es, pour les précaires. » « Avec un peu d’humilité et de bienveillance, tu peux ouvrir la discussion » (« J’ai pas l’impression que je peux parler avec tout le monde, y’en a, par exemple... ») « Si si, tu peux. Tu peux je te dis ! Tu peux renforcer l’esprit critique en toute amitié, simplicité. En toute sincérité. N’oublions pas que certain·es ont peur, d’autres sont en colère, d’autres encore sont fatigué·es. Certain·es se sentent exclu·es, d’autres ont besoin de reconnaissance et d’amour et ne le savent même pas. Beaucoup, enfin, sont en carence de liens réels, de respect des autres, à tel point dans certains cas, qu’il y a l’oubli de ce qu'il est, le lien à l’autre. » (« Mais le lien à l’autre, ça reste de la discussion one-to-one. C’est pas efficace! C’est pas avec ça qu’on bouge les foules, qu’on informe le plus grand nombre, qu’on fédère !») « Ouais, tu as raison, mais te goure pas de route. Tu veux aller trop vite trop fort. Ce qu’il y a, c’est un vrai problème de tempo. La vitesse n’est pas toujours une alliée et nous ne devons pas nous l’imposer et encore moins la placer en objectif. Assurons-nous de chaque échelon d’abord, restons ouvert·es et acceptons les demi-tours, les failles et les accidents. C’est prenant soin du tempo qu’on rassurera tout le monde sur la possibilité de faillir et donc, de progresser. » (« Ohé l’autre! Et l’urgence climatique alors? »). « Tu piges pas. Ce sont des temps différents. Je te parle d’un temps (« Que les moins de 20 ans? ») « Mais non, plouc! Je te parle du temps que tu débarrasses et nettoies des parasites accélérants et stressants. Je te parle de ces cinq minutes où, au lieu de sombrer dans ton téléphone, tu prends conscience des secondes. Tu peux trouver un slogan, en cinq minutes! Mais tes antennes ne servent à rien si tu les noies sous une cascade d’informations abrutissantes-incessantes, sous le poids des tâches que tu penses devoir accomplir, si tu les englues de stress. Plus tu prends conscience de l’amplitude du temps, plus tu peux aller vite car ton action sera percutante. Ce sont deux temps différents. » « Ne nous précipitons pas mais ne nous limitons pas non plus. Commençons aussi petit que nécessaire tout en rêvant aussi grand que possible. » (« Tu prends des airs de tribune du peuple, tout à coup ») « Je peux me le permettre, je ne suis pas réelle. » « L’égalité et l’équité sont en crise. La méritocratie a fait croire à bon nombre d’entre nous que ce sont nos efforts pour le « travail » – un terme dont l’étymologie nous parle de « torture » – qui ont de la valeur. Alors que les seules choses qui ont de la valeur, ce sont nos actions humaines, nos efforts à aller mieux, et le simple fait d’exister et d’évoluer. » (Elle m’impressionne un peu. Mais ça a l’air agréable de pouvoir palabrer sans se soucier du réel et du vrai). « Et d’ailleurs, à propos de réalité (Quoi ? Elle entend ce que je pense ?), n’essayons pas de trouver un moyen de fonctionner comme dans la réalité d’avant avec d’autres paramètres. Ce ne sera pas comme avant. Créons la réalité. Nous avons de la chance : c’est inédit et il reste donc tout à inventer. Tout peut être nouveau, « tout commence ». »
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À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
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