Tristesse ou déception de ne pas se réjouir / ne pas vouloir quelque choseJe parlais dernièrement avec quelqu’un des Novelmuttum. À la recherche d’une nouvelle définition, je demandais : « Comment on pourrait appeler ce moment où, alors que tu regardes quelqu’un dans les yeux, tu sens que tu « entres » littéralement dans son regard? ». Je l’avoue, c’était aussi un moyen de vérifier que je ne rêvais pas ce phénomène, qui, chez moi, se ressent par la vue, mais aussi l’ouïe. Je crois percevoir une sorte de son continu, grave et sourd dans ces moments-là. Un son qui est précédé par un discret entrechoc, comme celui qui se produit lorsqu’on rapproche deux aimants. Alors que je m’empêtrais, comme maintenant, dans ma description, mon interlocuteur m’interrompit et me demanda : « Et le mystère, alors? ». Cette question… Cette question m’ennuie beaucoup parce que je comprends ce qu’il a voulu dire et que je suis – il faut l’admettre – un peu d’accord avec l’objection qu’il y a derrière. (Au fait, comment on appelle ce pincement qui survient quand on sait que l’autre à raison mais que ça ne nous arrange pas ?) Mais donc bon. Oui, d’accord, je vois ce que tu veux dire. Si on donne un nom à tout, est-ce qu’on ne perd pas un peu de mystère, un peu de secret personnel et l’impression de vivre quelque chose d’unique ? On perd peut-être aussi l’espoir d’avoir partagé furtivement cette fulgurance avec l’autre. Un espoir qu’on pourrait vouloir garder suspendu, sans le définir. Avec cette remarque, il m’a fait apercevoir une limite à mes expérimentations vocabulaires. « Et le mystère, alors ? » En donnant un nom à tout, est-ce que je ne risque pas de faire disparaître, en les nommant, de petites merveilles furtives ? J’utilise à dessein le terme « furtives », en faisant le lien avec l’ouvrage éponyme d’Alain Damasio, où l’invisible meurt s’il est vu. (J’en profite pour recommander ce formidable roman d’anticipation : Les Furtifs, Alain Damasio, édition La Volte.) J’ajoute à ta réflexion une autre question : est-ce qu’on aime ne pas tout comprendre ? C’est une question un peu provocatrice au regard des événements de cette année. Est-ce que l’on aime ne pas comprendre ? Et puis, si l’on part du principe que l’on aime l’implicite, une troisième question surgit : est-ce que le fait de nommer les chose les désenchante ? Je suis capable de faire tourner ces questions à l’infini et d’y apporter des réponses contradictoire en fonction de l’heure ou de la saison. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est de les partager avec d’autres et d’en discuter. De s’en disputer. De s’en opposer et de s’y retrouver. Et c’est finalement ça, ma réponse : la chose qui me fascine le plus c’est le lien que l’on tisse en se trouvant des micro points communs. Chercher avec d’autres l’échange autour de ces questions inutiles et belles. Précisément parce qu’inutiles. Et je manque de discussions inutiles, en ce moment. Gravement. Alors le mystère, oui, j’y tiens, bien sûr mais aujourd’hui, en ces temps où les discussions se crispent en tentant d’être importantes là où, avouons-le, nous nous perdons la plupart du temps en conjectures, je rêverais d’entamer avec n’importe qui une discussion sur n’importe quoi. Je botte donc en touche et préfère penser à ce qui nous lie. Ce qui est, en soi, un véritable progrès puisque d’ordinaire, je me serais réfugiée dans un cynisme glaçant, cynisme qui sape non seulement nos joies mais aussi notre capacité à nous réjouir. Tristesse ou déception de ne pas se réjouir / ne pas vouloir quelque chosePatchoute (adj. inv.)
Décépense (n.f.)
Savoltique (adj.)
Lassijoie (n.f.) ; Lassijoyeux.se.x (adj.)
Pamaver (verbe)
Unexpérer (verbe)
Achiallonner (verbe pronominal)
Adulter (verbe pronominal)
Arrêver (verbe pronominal)
Fleûh (n. m.)
Efferdescente (n. f.)
Aflatigué.e.x
Ce Novelmuttum a donné lieu en plus à une analyse psycho-sociale de la part de David Marin, analyse que je partage ici avec vous : « Je pense qu'il s'agit d'un sentiment « neghâtif / neghâtive ». Si après un événement qui a été au-delà de ce qu'il était légitime d'en espérer provoque le sentiment d'être déçu en bien, il pourrait aussi générer – à l'avance – le sentiment contraire, la négation fatale d'une réjouissance qui ne viendra pas : une « réjouissance interrompue » comme une gaudere interruptus. Et comme aujourd'hui on ne se réjouit plus, mais on a « hâte », la « leatos interruptus » est la négation anticipée de la hâte elle-même: c'est pourquoi elle est néghâtive. »
Merci à Anouck Mue L’air, Cedric Annen, Djeemee Gurtner, David Marin, Marou Jev, Magali Baillif, Nina Deppe, Maï Beti Hitomi, Yvan Peperoni d’avoir participé à ce dixième Novelmuttum !
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À quoi ça blogue?Quand ça passe par ma tête et que ça persiste assez pour être transmis à la main. Catégories
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