Lia Leveillé
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Novelmuttum VIII

7/16/2020

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Créer ou faire durer un moment d’inconfort pour décupler le sentiment de satisfaction qui va suivre.


Qu’est-ce qui peut rapprocher des haricots verts et une chaussette trouée ? Réponse : le Novelmuttum VIII.

Les fans de George Martin attendent son prochain livre depuis si longtemps, que le plaisir d’anticiper une joie qui sera décuplée par une longue attente, s’est envolée. « Attendre », voilà un verbe qui ponctue toute notre vie et beaucoup d’entre nous savent l’apprécier. L’attente est d’autant plus appréciable quand elle fait naître l’impatience ; si elle fait croître le plaisir de l’aboutissement. L’attente est magique car sans être rien, elle fait bouger notre esprit. D’apparence, attendre, est une non-action. Et pourtant, c’est un verbe. Qui plus est, un verbe d’action.

C’est au théâtre que je vois le mieux la richesse de ce verbe. On peut jouer l’attente, « performer » – comme on dit maintenant – l’attente. La nuance est visible dans l’intensité du corps sur scène. Il y a une grande différence entre un corps qui est vide et un corps dont l’esprit joue l’attente alors même que l’aspect physique ne change pas. Mes élèves sont souvent surpris·es de l’effet que le simple fait de « jouer » l’attente a sur leur mental. Les voilà entré·es dans une histoire. Les idées surgissent.

L’attente, c’est, pour ainsi dire, ce moment de rien. Une transition entre deux états : celui où l’objet de l’attente n’existe pas encore, et celui où l’attente est résolue. Fondamentalement, l’attente est ce qui remplit le plus densément une tranche de temps. Vous souvenez-vous, quand vous comptiez les jours et les dodos avant votre anniversaire ? Avant Noël ? Avant les vacances ? Avant le retour d’un parent ? Vous souvenez-vous du moment où vous avez arrêté de compter ? Et de celui où vous vous êtes dit pour la première fois de manière nonchalante : « Ah tiens, demain c’est mon anniversaire ». J’ai compris que j’avais une tendance à la dépression quand je me suis rendue compte qu’il y a des périodes où je n’arrive plus à me réjouir d’une soirée, d’un spectacle, d’un anniversaire (ni de quoi que ce soit, finalement). C’est d’ailleurs le premier symptôme auquel je prête attention. C’est mon signal d’alarme.

Si le temps peut être une mesure carrée et coercitive, nous sommes encore libres de le prendre en main et de le colorer. Nous sommes encore capables de transformer ce temps. Nous pouvons être les gestionnaires de ce temps et le diriger. Nous pouvons jouer avec lui. Nous pouvons non seulement étirer le temps d’attente, mais aussi le teinter afin d’atteindre le plus grand plaisir possible lors de la résolution de l’attente. Et si notre vie manque de ces attentes, nous sommes même capables d’en créer.

On peut construire des étapes du kiff. Rentrer chez soi et s’affaler sur le canapé, mais, juste avant, prendre le temps, se forcer encore à ranger un truc, à envoyer un dernier mail, juste de quoi étirer un peu le temps avant la détente. Ou s’affaler, soit, mais rester habillée. Tendre le léger masochisme jusqu’au moment ultime où l’on enlève le soutif, les chaussettes, et tout ce qui serre.

C’est de cette petite arnaque que je voulais qu’on parle : du fait de créer ou de faire durer de la gêne pour mieux profiter de sa résolution ou de sa délivrance. Entre le moment où j’ai lancé le Novelmuttum VIII et celui où j’écris ces lignes, j’en ai discuté autour de moi et j’ai remarqué deux choses.

Tout d’abord, sur cette question, l’humanité se divise en deux catégories : les praticant·es et les autres. Les personnes qui ne pratiquent jamais le fait de rallonger l’attente ou la gêne sont souvent plus épicuriennes, plus avides et semblent plus décomplexées et franches dans leur rapport au plaisir que les personnes de la première catégorie. Tandis que parmi les praticant·es, il existe une certaine versatilité. Ce n’est donc pas nécessairement un état d’esprit global. C’est-à-dire que l’art du « masopassement » (un des mots proposés ci-dessous) peut être appliqué dans une situation très précise mais jamais dans une autre. Par exemple, une personne me confiait que depuis son enfance, elle entame systématiquement ses repas par les aliments qui lui plaisent le moins, afin de garder le meilleur pour la fin. (Tiens, d’ailleurs, « le meilleur pour la fin », une expression qui existe !) Une autre personne lui répondit alors que cela lui semblait absurde puisqu’elle risquait de ne plus avoir faim, d’avoir moins de désir, pour ce qui lui plaisait le plus dans l’assiette, si son estomac était déjà rempli de haricots verts.
Cependant, la personne qui intensitionnait (un autre verbe proposé) ainsi ses repas, ne pratiquait pas cette discipline dans d’autres contextes de sa vie.

C’est ainsi lié à des instants très précis, d’où la difficulté de trouver un terme qui engloberait l’ensemble des situations individuelles et spécifiques à chacun·e. « Mon truc à moi, me disait par exemple une collègue, c’est de porter une chaussette même si je sens qu’elle est trouée, pour ressentir le plaisir de la chaussette recousue plus tard. »

L’enjeu du Novelmuttum VIII était donc de trouver des termes qui puissent parler à la fois de haricots verts et de chaussette trouée.

Bien entendu, derrière toute cette réflexion se cache une pensée plus profonde et philosophique : le plaisir peut-il exister sans le déplaisir ? Le bonheur sans le malheur ?
​

Une considération qui est si vaste et ancienne qu’il est amusant d’en débusquer l’ersatz dans un jeu linguistique.

Novelmuttum VIII


"Créer ou faire durer un moment d’inconfort pour décupler le sentiment de satisfaction qui va suivre."

Malaisifier
  • Je pris un malin plaisir à malaisifier ma mère encore quelques minutes au téléphone, avant de lui dire que c’était bien moi au bout du fil et non un pompier qui lui annonçait la mort tragique de son fils.

Intensitionner
  • En me projetant mentalement dans la chaleur de la douche chaude, j'ai intensitionné ce moment sous la pluie.

Allongêner
  • J'étais ravi d'allongêner le rencard foireux de Marc, qui me regardait tourner en quête d'une place pendant 10 minutes. En fin de soirée, il m’avait envoyé le message : « J’ai oublié mes clés ». C’était notre code, notre appel à la rescousse en cas de soirée ratée. À mon arrivée, je l’ai vu avec Carine, devant le restaurant. Marc jetait des coups d’œil à droite et à gauche, guettant mon arrivée, tandis que Carine essayait de lui attraper la main et de se coller à lui. Je passai devant eux et fit signe que je ne pouvais m’arrêter. Ça fait 10 minutes que je tourne, trois fois que je passe devant lui, et que je savoure ce moment, anticipant la délivrance que je vais lui offrir.

Engêniver
  • C’était trop calme pour lui. Il détestait ces réunions de famille. Même pas de quoi en rire. Ce noël, il décida d’engêniver la soirée et annonça à tout le monde que deux ados s’étaient présentés chez lui la veille, que ces deux enfants étaient les siens et qu’il avait décidé de les inviter. Tom et Beth entrèrent alors, jouant à la perfection les rôles qu’il avait écrit pour eux. La perspective d’être payés pour participer à un canular fit qu’ils se surpassèrent et personne ne flaira la supercherie jusqu’au moment de la bûche, quand ils dévoilèrent la farce. Jamais aucun noël de la famille Thompson n’a été aussi heureux, joyeux et drôle.

Soulageonter
  • Fiona et Margaux sont restées bien droite devant le tableau, à soulageonter leur oral jusqu'à la cloche. Fiona s’occupait la gêne en s’imaginant raconter ce fiasco à ses futurs enfants, un jour, quant à Margaux, elle testait sa résistance en soutenant le regard de la prof. La sonnerie retentit comme la trompette de la cavalerie au Far West et le soulagement libéra toute la classe comme un bouton de pantalon qui lâche après un repas trop copieux.

Masoter
  • Le bouton qu'il avait sur le bout du nez n'était pas si gros mais assez douloureux et assez mûr pour être percé. Marius plaça ses deux index autour de la protubérance et masota quelques instants avant de s'accorder le plaisir de la libération du pus et de la douleur.

Bootser
  • Origine : « booster » et « boot » ; contraction de « skiboot ». Faire augmenter (booster) et faire dure la douleur provoquée par les bottes de ski pendant une journée, puis, la prolonger au ski-apéro pour la simple et bonne raison d'éprouver la délectation de les enlever le soir.
  • Je me suis bootsé toute la journée au froid exprès pour cette soirée devant la cheminée.

Encaper à merci (expression)
  • - Ouf... quelle course! Une bonne douche et après, un grand truc frais sur la terrasse.  
    - Ouais… vas-y déjà. Moi je vais encore faire le tour du parc.

    C'était son truc, à Ludivine. Dans tous les domaines, il fallait qu'elle encape à merci. On se demandait parfois si c'était vraiment pour le plaisir.


S'arrichir
  • La roche était si chaude, le soleil si puissant. Ziaï fermait les yeux. Il avait la sensation de recevoir des coups de massues sur son dos, ses épaules. Il pouvait sentir le sang bouillir dans ses veines. Il savait qu'il n'y avait qu'un pas à faire, qu'il suffisait de céder à la délivrance. Mais il s'arrichissait. Il voulait qu'il y ait un avant, un après. Il avait besoin de cette violence. Lorsque qu'il s'élança vers la mer la morsure de l'eau glacée lui hacha le souffle, le cerveau, les os, la peau. Le cri qu'il poussa...

Masopasser (verbe) ; Masopassement (adv.)
  • J’ai poussé le masopassement à l’extrême en attendant 4 jours de plus avant de m’offrir cette incroyable pâtisserie qui me tentait depuis si longtemps.

Acrampiller
  • « Encore une petite heure, encore une petite heure », je me dis. C'est pas compliqué : soit je termine le paper cette nuit, soit j'me trimballe l'ordi en vacances. Pis en même temps, soit je me cadre pour être frétillante au départ, soit je démarre mes congés sur les rotules et de sale humeur. Comme par hasard, c'est quand je suis naze que j'acrampille le plus et là, putain, je suis vraiment au bout. Allez, encore une petite heure et je serai cap' de finir ce maudit article et alors, tout-à-l'heure, dans le train, je pourrai m'enivrer à plein fond de la liberté! « Acrampille encore un peu va! Pense comme tu seras détente! »

Temtadurer
  • - Tu peux enlever ton masque, tu sais, on est sorties du bus. 
    - Je préfère temptadurer, je l’enlèverai à la maison, à l’aise, posée.

Flottenlier [se] (verbe réfléchi)
  • Elle savait qu’un jour, ils se déclareraient. Pour une fois, cependant, elle voulait faire durer cette période de flou, de complicité. Faire durer avant le jour où le tacite sera avoué et partagé. C’était si bon de se flottenlier avec lui.


Merci à Youri Ortelli, Djeemee Gurtner, Cédric Chapô Maurouard, David Marin, Yvan Peperoni, Lyvia Papilloud et Magali Baillif d’avoir partagé un bout de leur imaginaire !

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